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conflit engagé en lui ; et si elle l’eût pensé, elle fût restée confiante en la victoire de l’amour.

— Mon pauvre Julien, dit-elle, je vous fais de la peine ! Pardonnez-moi. J’en ai aussi… Vous me croyiez meilleure. Vous me mettiez plus haut, trop haut dans votre esprit… Je suis femme. Je suis faible… Du moins, si je me suis trompée, je n’ai jamais trompé. J’étais de bonne foi. Je l’ai toujours été…

— Oui, dit-il hâtivement, j’en suis sûr, n’est-ce pas ? Il vous a abusée ?

— Qui ? demanda Annette.

— Ce misérable… Pardon !… Cet homme qui vous a laissée…

— Non, ne l’accusez pas ! dit-elle. C’est moi qui suis coupable.

Elle n’attachait à ce mot de « coupable » que le sens d’un affectueux regret de la peine qu’elle lui faisait ; mais il s’en saisit avidement. Il voulait, dans son désarroi, se rattraper à l’idée qu’Annette était une victime séduite, et qu’elle se repentait… Il avait un extrême besoin de cette notion de « repentir » : ce lui était une sorte de compensation pour le dommage qui lui était causé, un baume sur la blessure, qui ne la guérissait pas, mais qui la rendait supportable ; ce lui attribuait sur Annette une supériorité morale, dont — pour être juste — il n’eût pas fait emploi. Et enfin, comme il n’avait pas de doute sur le péché d’Annette, il n’en avait pas non plus sur l’obligation du repentir. De l’un et de l’autre sa nature chrétienne était imbue. Les plus libres chrétiens ne s’en délivrent jamais.

Mais Annette était issue d’une autre race d’âme. Les Rivière pouvaient être purs ou impurs, au sens que la morale chrétienne assigne à ce mot ; mais s’ils étaient purs, ce n’était pas par obéissance à un Dieu invisible ou à ses représentants trop visibles et à leurs Tables de la Loi ; c’est parce qu’ils aimaient la pureté comme