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elle pensait qu’on ne doit pas la vérité à tous, surtout à son fiancé : c’est assez de l’aimer ! La vérité d’Annette, certes, était innocente ; mais les hommes sont débiles. Ils ne peuvent supporter aucune vérité. Il faut la leur doser…

Annette écoutait Sylvie tranquillement, et parlait d’autre chose. Inutile de répondre : elle n’en ferait qu’à sa tête. La morale de Sylvie n’était pas la sienne. Et elle préférait ne pas dire ce qu’elle en pensait. Sylvie était Sylvie. Elle l’aimait… Mais de quel regard elle eût toisé tout autre qui lui eût ainsi parlé !

— Cette pauvre Sylvie !… Elle juge des hommes d’après ceux qu’elle a connus. Mon Julien est d’une autre espèce. Il m’aime comme je suis. Il m’aimera comme je fus. Je n’ai rien à lui cacher. Jamais je ne lui fis tort. S’il y eut un tort commis, je ne l’ai fait qu’à moi-même…

Décidée à parler, envisageant les risques, mais faisant crédit au grand cœur de Julien, elle mit l’entretien sur sa vie passée. D’une commune pudeur, ils avaient toujours évité ce sujet. Mais plus d’une fois, Annette avait lu dans les yeux de Julien ce qu’il brûlait et tremblait de demander, ce qu’il eût voulu savoir et ignorer.

Elle mit tendrement la main sur la main de Julien et dit :

— Mon ami, vous avez toujours été avec moi d’une discrétion si chère !… Je vous remercie. Je vous aime… Mais je dois vous parler enfin de ce que vous ne savez pas de moi et de ce que j’ai été. Il faut que vous me connaissiez. Je ne suis pas sans reproches.

Il fit un geste craintif, qui protestait contre ce qu’elle allait dire, qui peut-être aurait voulu l’empêcher. Elle sourit :

— N’ayez pas peur ! Je n’ai pas de grands crimes. Il me semble, du moins. Mais peut-être que je suis trop indulgente pour moi. Car le monde en juge autrement.