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que si la femme se tait, c’est souvent qu’elle sent combien l’homme la comprend mal. Le silence d’Annette, certains jours, ironique, un peu las, tolérait une interprétation fausse de ses sentiments par celui qui l’aimait, puisqu’elle savait que c’était la fausse qu’il aimait, et qu’il n’aimerait pas la vraie…

— « Si tu veux… Comme tu veux !… C’est entendu. Je ne suis pas comme je suis. Je suis comme tu me vois… »

Mais ces silences d’acquiescement n’eurent qu’un temps. Du jour où Annette s’aperçut qu’il y aurait peut-être danger à de franches explications, — (car Julien n’était pas en état de les comprendre) — et qu’il serait plus politique de se taire, elle parla. Se taire, pour éviter à Julien un tracas inutile, oui. Mais pour l’abuser, non. Et s’il y avait danger à parler, justement ! C’est alors qu’on ne pouvait plus se dispenser de le faire. Plus le risque était grand, plus grand était l’orgueil qui voulait l’affronter. Cette épreuve de l’amour faisait battre son cœur. Si l’épreuve réussissait, elle en aimerait Julien davantage. Et si elle ne réussissait pas ?… Elle réussirait. Julien ne l’aimait-il point ?… Advienne que pourra !

Elle jouait loyalement. Mais il est des hommes qui préféreraient que leur partenaire trichât. Sylvie, mise au courant de l’amour de Julien et du projet de mariage, avait chapitré Annette : qu’elle ne s’avisât point, bon Dieu ! de dire toute la vérité ! Certes, il fallait bien qu’il en apprît une partie. Ne fût-ce qu’en se mariant, les actes de l’état civil se chargeraient de l’en instruire. Mais il y a toujours moyen d’accommoder le vrai. Puisque ce garçon l’aimait, il fermerait les yeux. Qu’elle ne les lui ouvrît pas ! Ce serait vraiment trop bête ! Plus tard, ils auraient le temps de tout se raconter… Sylvie parlait en honnête expérience. Elle voulait le bien de sa sœur ; — (elle voulait le sien aussi, et n’eût pas été fâchée de l’éloigner au plus tôt de son logis) ; —