point ce qu’il doit animer, comme le char livré aux mains de Phaéton ! Qu’il suive dans le ciel sa route régulière ! … Le mariage alors ? Après l’avoir si longtemps écarté, la perception des dangers qui la menaçaient l’amenait à se dire qu’un mariage d’affection et d’estime, de calme sympathie, lui serait une digue contre les démons du cœur, et une protection contre les poursuites du dehors. À mesure qu’elle s’en convainquait — (tout conspirait à l’en convaincre : sa sécurité matérielle et morale, l’attrait du foyer, et les sollicitations de son cœur), — elle opposait moins de résistance aux supplications de Julien. Elle se donnait, pour y céder, toutes les raisons de l’aimer. Mais elle n’avait pas attendu de les avoir, pour l’aimer. Déjà avait commencé le travail de construction de l’esprit, qui de l’élu crée une vision exaltée. Julien l’y avait devancée. Comme elle était plus riche et plus passionnée, elle l’eut tôt dépassé. Ne se surveillant plus, se livrant à la fougue de sa franche nature, elle n’usa point de ces artifices, dont une femme plus habile masque sa défaite, lorsque son cœur est pris, et qu’elle laisse croire qu’elle en demeure maîtresse. Annette avait fait don du sien. Elle le dit à Julien. — Et, de cet instant précis, Julien commença de s’inquiéter.
Il connaissait mal les femmes. Elles le fascinaient et le déconcertaient. Plutôt que de les connaître, il préférait les juger. Il idéalisait les unes, il condamnait les autres. Quant à celles qui ne rentraient dans aucune des deux catégories, il s’en désintéressait. Les très jeunes hommes — (et Julien l’était resté, par son peu d’expérience) — sont, dans leurs jugements, toujours pressés. Comme ils sont pleins d’eux-mêmes et de leurs désirs, ils ne cherchent dans les autres que ce qu’ils en voudraient. Soit du côté moral, soit du côté charnel, les naïfs comme les roués, quand ils aiment, c’est toujours à eux qu’ils pensent, ce n’est jamais à la femme ; ils se refusent à voir