Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui l’entouraient, surtout pour le mari, un temps de félicité. De fréquents désaccords écartèrent Léopold de sa compagne. Non pas que Sylvie prétendît se passer de lui. Elle avait peu de ménagements pour sa maternité, et ne voulait rien changer à sa manière de vivre. Mal lui en prit. Ces longs mois de gésine furent loin d’être pour elle ce qu’ils avaient été pour Annette : un rêve interminable, et trop vite fini, de bonheur engourdi. Sylvie n’était pas faite pour couver des rêves. Elle s’impatientait, et n’entendait renoncer à aucun de ses devoirs, de ses droits, et de ses plaisirs : elle se surmena. Sa santé se ressentit de son état nerveux, et son caractère n’y gagna point. Quand on est tourmentée, on est volontiers tourmenteuse. Sylvie, étant à la peine, trouvait indigne que son mari n’y fût pas ; et elle s’en chargea. Elle le harcelait de son humeur taquine, maligne, perpétuellement changeante, et même — (c’était inattendu !) — jalousement amoureuse : ce qui ne l’empêchait point de lui chanter pouilles ! Certains jours, il ne savait à quel saint se vouer.

Annette se trouvait là, pour recevoir ses doléances. Il montait geindre à son étage ; elle l’écoutait patiemment, et elle trouvait moyen de le faire rire de ses petites infortunes. Ces conciliabules, en se renouvelant, établissaient entre eux une complicité de secrets communs. Et parfois, devant Sylvie, ils échangeaient un coup d’œil malicieux. Honnêtes tous les deux, ils ne prenaient aucune précaution et s’abandonnaient à une familiarité qui, si elle était innocente, n’était pas inoffensive. Annette n’avait pas idée d’un risque, et elle s’amusait à d’amicales agaceries. Léopold s’y laissa prendre : il ne demandait qu’à l’être ; il l’était, depuis longtemps, par le rayonnement de cette force de joie, qui se dégageait d’elle. Annette était toute alors à la découverte de l’amour de Julien, qui la troublait délicieusement. Le reste du monde était dans la brume. Quand elle