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prête volontiers à l’homme, dont l’affection l’implore, un charme qu’il n’a point ; son instinct la dispose à n’être plus attentive en lui qu’aux qualités. Julien n’en manquait point. Annette se réjouissait de voir sa timidité se fondre et sa nature vraie, comprimée, s’ouvrir au jour, avec un bonheur attendri de convalescent. Elle se disait que, jusqu’ici, nul ne connaissait cet homme, pas même cette mère, dont il parlait toujours, et qu’elle commençait à jalouser. Lui-même, le pauvre Julien, il ne se connaissait pas… Qui se fût douté que sous cette écorce rêche, il y eût une âme tendre, délicate… (elle exagérait !) Il lui fallait la confiance, et il en avait manqué : la confiance en les autres, la confiance en soi. Pour croire en lui, il avait besoin qu’un autre crût. Eh bien, elle croyait ! Elle croyait en Julien, pour le compte de Julien, si bien qu’elle finit par y croire, aussi pour le sien !… Il s’épanouissait à vue d’œil, comme une plante au soleil. Et c’est bon d’être pour un autre le soleil… « Épanouis-toi, mon cœur !… » Était-ce du cœur de Julien, ou du sien qu’elle parlait ? Elle ne savait déjà plus. Car du bien qu’elle faisait, elle s’épanouissait aussi. Une nature abondante meurt de ne pas nourrir de soi les affamés… « Me donner ! »…

Annette donnait trop. Elle était irrésistible. La passion de Julien ne se dissimula plus. Et Annette — un peu tard — reconnut qu’elle n’était pas à l’abri…

Quand elle vit l’amour près de venir en elle, elle esquissa une faible défense ; elle tâcha de ne pas prendre au sérieux les sentiments de Julien. Mais elle ne se croyait pas elle-même, et elle ne fit que rendre Julien plus pressant : il devint pathétique…

Alors, elle prit peur ; elle le supplia de ne pas l’aimer, de rester bons amis…

— Pourquoi ? demandait-il, pourquoi ?

Elle ne voulait pas dire… Elle avait la crainte instinctive de l’amour ; elle gardait le souvenir de ce qu’elle