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n’était pas en deuil… Non, il ne se rassurait pas… Qu’était-il devenu, cet homme ? Julien n’osait le demander directement. Après bien des détours, il se risqua enfin (il se crut très habile) à glisser négligemment :

— Il y a longtemps que vous êtes seule ? Annette dit :

— D’abord, je ne suis pas seule,
en montrant son enfant.

Il n’en sut rien de plus. Mais, puisqu’elle admettait ainsi, implicitement, qu’elle était seule (avec l’enfant), et qu’elle le prenait gaiement, c’était que son deuil était loin, très loin, et qu’on n’y pensait plus. La logique intéressée de Julien conclut victorieusement :

— « Monsieur Malbrough est mort… »

Bon voyage au mari ! Il n’était plus inquiétant. Julien jeta dessus encore une pelletée, et se tournant vers l’enfant, il lui grimaça un sourire. Marc lui devenait sympathique.

Mais il ne le devenait pas à Marc. Il était plus familier avec la constitution des corps atomiques qu’avec celle d’un esprit d’enfant. Marc sentit parfaitement que cette démonstration d’amabilité n’était pas naturelle ; et le résultat fut qu’il tourna le dos, grognant :

— Je lui défends de me rire au nez !

Annette, qui s’amusait des efforts inutiles de Julien pour amadouer l’enfant, crut devoir réparer l’accueil malgracieux de Marc. Elle questionna Julien sur sa vie solitaire, avec un intérêt un peu distrait d’abord, mais qui cessa bientôt de l’être. Julien, plus sûr de lui, toujours, quand il était assis dans le clair-obscur d’une chambre, se raconta, cette fois, ingénument. Il était simple ; il ne posait jamais, — presque jamais, — malgré son désir de plaire. En sa sincérité, il montrait une candeur qu’on n’est pas accoutumé de rencontrer à Paris, chez un homme de son âge. Il avait, en touchant aux sujets qui lui étaient chers, une délicatesse qui voilait son émo-