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maintenant, aussi raides l’un que l’autre, l’un n’osant plus parler, l’autre attendant, d’un air de hauteur malicieuse…

— Si tu crois, mon bonhomme, qu’aujourd’hui, je vais t’aider !…

Et puis, elle saisit le comique de la situation, elle vit du coin de l’œil la mine piteuse du conquérant, et elle rit tout haut. Subitement détendue, elle reprit le ton de camaraderie. Julien n’y comprit rien ; interloqué, mais soulagé, il revint, lui aussi, au naturel ; et une conversation amicale enfin s’engagea.

Annette lui parlait de sa vie de travail ; et ils se confessèrent l’un à l’autre qu’ils n’étaient guère faits pour leur métier. Julien se fût passionné pour la science qu’il enseignait ; mais…

— … Ils ne peuvent pas suivre ! Ils sont là qui vous fixent, avec des yeux mornes, clignotant de sommeil ; à peine deux ou trois, dans le regard de qui on voit passer une lueur ; le reste, une lourde masse d’ennui, qu’en suant sang et eau, on arrive (pas toujours) à remuer, un moment, et qui retombe dans l’étang. Allez l’y repêcher ! Un métier de puisatier !… Aussi, ce n’est pas leur faute, à ces malheureux gosses ! Ils sont, comme nous, victimes de la manie démocratique, qui prétend que tous les esprits absorbent également la même somme de connaissances, et cela, avant l’âge normal, où ils pourraient commencer à comprendre ! Ensuite, il y a les examens, ces concours agricoles, où l’on pèse nos produits, gavés d’une mixture de mots estropiés et de notions informes, que la plupart se hâtent de dégorger immédiatement après, et qui les dégoûte d’apprendre, pour le reste de leur vie.

— Moi, dit Annette, en riant, j’aime bien les enfants, oui, même les plus ingrats, il n’y en a pas un qui me soit indifférent. Je voudrais les avoir tous, je voudrais tous les étreindre… Mais il faut se borner ! N’est-ce pas ? C’est assez d’un…