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Annette n’avait pas le moindre soupçon de ce qui se passait en Julien. Le physique ingrat de son nouveau compagnon la garantissait si bien contre l’amour que, d’une façon comique, elle pensait qu’il en devait garantir aussi Julien. Elle l’estimait. Elle le plaignait. D’être plaint, le rendait sympathique. C’était agréable de se dire qu’elle pouvait lui faire du bien ; et il lui en devenait plus sympathique. Mais elle n’aurait pas eu l’idée de se méfier de lui, et moins encore d’elle.

Elle avait oublié son invitation, quand, le dimanche suivant, il vint la lui rappeler ; et le joyeux étonnement qu’elle lui témoigna n’était pas joué. Mais Julien qui, depuis une semaine, ne songeait qu’à cette heure, ne vit pas l’étonnement et vit seulement la joie ; la sienne s’en accrut. Le temps était très mauvais. Annette ne pensait pas à sortir, de l’après-midi. Comme elle n’attendait personne, elle était en négligé, l’appartement aussi. Le petit avait passé par là. On a beau, comme Annette, avoir le goût de l’ordre : les enfants se chargent de vous y faire renoncer, comme à tant de beaux projets qu’on a formés sans eux. Mais Julien, ramenant tout à lui, vit dans « ce beau désordre » — non certes « un effet de l’art », — mais une marque de l’intimité qu’on voulait lui accorder. Il arrivait, le cœur battant, mais décidé, cette fois, à se montrer sous un jour avantageux ; il jouait l’assurance. Cela ne lui seyait guère. Et Annette, vexée d’être surprise en ce fouillis, en voulut à l’intrus de son manque de façons. Elle se fit aussitôt froide ; et en un instant, la superbe de Julien fut brisée. Ils restaient là