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demande point… Vous avez été bonne de m’écouter avec indulgence. Je me suis laissé aller à vouloir vous raconter… Mais ce n’est pas possible. On ne peut pas raconter, on doit garder pour soi… Ce n’a pas d’intérêt, et ce n’est pas viril… Vivre et se taire… Je vous demande pardon de vous avoir ennuyée.

Annette fut touchée. Il y avait dans ces paroles une réelle émotion ; ce mélange de modestie et de triste fierté la frappa ; elle sentit sous la gaine de froideur beaucoup de déceptions et de tendresse blessée. Dans un de ces élans du cœur, auxquels elle ne résistait pas, elle se prit pour Julien d’une affectueuse pitié. Elle dit avec chaleur :

— Non, non, ne regrettez rien ! Je vous remercie, vous avez bien fait de parler… (Elle corrigea, avec une pointe moqueuse, qui, cette fois, n’avait rien de cuisant)… d’essayer de parler… Oui… ce n’est pas facile, vous n’êtes pas habitué… Eh bien, cela me fait plaisir que vous ne soyez pas habitué !… Assez d’autres le sont !… Mais il n’est pas défendu d’espérer que moi, je vous habituerai… Voulez-vous ? Puisque vous n’avez personne avec qui causer !…

Julien était trop ému pour répondre ; mais son regard exprimait une reconnaissance, encore effarouchée. Bien que l’heure de rentrer fût passée, Annette revint sur ses pas, afin de se promener encore quelques minutes ensemble ; et elle lui parlait, en bonne camarade maternelle, sur un ton simple et cordial, qui lui était une main fraîche sur son front endolori. Oui, il était meurtri, ce grand garçon ; avec son air bourru, il avait besoin d’être manié très doucement… Maintenant, il reprenait vie… Tout de même, il fallait rentrer !… Annette lui proposa de se revoir, de temps en temps. Et ils s’avouèrent que, pour le travail qu’ils avaient fait à la bibliothèque, ils auraient aussi bien pu le faire au Luxembourg, ou…

— Ou… Pourquoi pas chez moi ?