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cher… Il demanda si Annette habitait toujours à Boulogne.

— Comment ! vous ne savez pas ? Il y a beau temps que j’ai déguerpi… Oui, on m’a mise dehors…

Il ne comprenait pas. Elle expliqua, en courant, d’un air allègre, qu’elle était ruinée par sa faute, son indifférence aux affaires…

— C’est bien fait ! ajouta-t-elle.

Et elle parla d’autre chose. Pas un mot sur sa vie. Non qu’elle voulût cacher ; mais cela ne regardait pas les autres. Si Julien eût insisté pourtant, posé quelque question, elle eût répondu l’exacte vérité. Mais il ne demanda rien, il n’aurait pas osé ; et il avait la tête perdue dans cette unique pensée : elle était pauvre, pauvre comme lui… Déjà, le vent brûlant de l’espérance était entré.

Pour déguiser son émotion, il se pencha, avec une camaraderie bourrue, sur la brochure qu’elle venait de quitter :

— Qu’est-ce que vous lisez là ?

Il feuilleta. Une revue de sciences. Il y en avait une liasse.

— Oui, dit Annette, je tâche de me remettre au courant. Ce n’est pas facile. J’ai perdu pied depuis cinq ans ; il me faut gagner ma vie, donner des leçons, je n’ai pas le temps. Je profite de Pâques, plus de leçons, je chôme. J’essaie de réparer le temps perdu, je fais les bouchées doubles, vous voyez ! — (elle montra les revues ouvertes qui l’entouraient) — je voudrais tout avaler. Mais c’est trop, je n’arrive pas, j’ai tout à réapprendre ; il y a quantité de choses qui se sont passées, depuis que je n’étais plus là ; on fait des allusions à des travaux que je ne connais pas… Dieu ! comme on marche vite !… Mais je les rattraperai ! Je le jure, je ne veux pas rester en arrière, sur le chemin, comme une éclopée. Il y a de belles choses à voir, là-bas. Je veux les voir…