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cœur. L’air endormi, sournois. Il attendait son heure. Ces petites escarmouches préparaient la véritable attaque. L’ennemi venait. L’ami…

Mais comment eût-il été possible de se méfier ? Tous les autres, si l’on veut ! Mais lui, quelle plaisanterie !

Julien Dumont avait à peu près l’âge d’Annette, de vingt-neuf à trente ans. De taille moyenne, légèrement voûté, une figure un peu triste et qui eût paru ingrate, sans des yeux assez beaux, bruns, doux, sérieux, humblement caressants, quand on les apprivoisait ; le front osseux, avec un pli au milieu, le nez gros, les joues d’ossature forte, une courte barbe noire, la bouche affectueuse qui se dissimulait sous la moustache trop longue — (c’était, chez Julien, comme un parti pris de cacher ce qu’il avait de moins laid), — le teint mat, vieil ivoire, d’un homme qui est nourri de plus de livres que de soleil. Une physionomie qui ne manquait ni d’intelligence ni de bonté, mais un peu morne, engourdie, et que la vie, les passions, n’avaient pas encore pétrie. Dans l’ensemble, quelque chose de butté et de découragé.

Il était plus naïf et plus neuf qu’Annette, qui l’était encore beaucoup. Car, malgré sa courte expérience, plus violente qu’étendue, elle ne savait pas grand’chose du monde de l’amour. Il est vrai que l’intuition qu’elle tenait de son père et les entretiens de Sylvie, qui valaient bien parfois ceux de la reine de Navarre, ne lui avaient rien laissé ignorer. Mais la leçon est mal sue, que le cœur n’a pas étudiée, à ses frais. Les mots ne sont pas de même étoffe que la réalité. Et il arrive que, retrouvant dans la vie ce qu’on vient de lire, on ne le reconnaisse pas. Annette, très bien instruite, avait presque tout à apprendre. Mais Julien avait tout.

Il avait vécu en dehors de l’amour. On craint trop en France de parler de cette sorte d’ « innocents » : ils excitent