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yeux ravis d’un jeune homme, qui la regardait hier en omnibus. Elle ne le connaissait pas, et elle ne le reverrait sans doute jamais. Mais ce regard, qu’elle avait surpris en tournant la tête brusquement, (car il ne croyait pas être vu), avouait si naïvement son attrait que, depuis, elle en gardait une joie fraîche, au cœur… Elle affectait de n’en pas savoir la cause… Mais comme son miroir lui renvoyait l’image de son sourire, elle se vit avec les yeux de celui qui l’aimerait un jour… Où êtes-vous, soucis ?…On les entendait encore qui bourdonnaient, au loin, très loin, par bouffées…

— « Assez ! assez ! À quoi bon !… Il faut se faire une raison ! »

Qu’Annette se le dît, ce n’était pas nouveau. Vingt fois elle l’avait dit. Mais qu’elle fît comme elle avait dit, on ne s’y attendait point ! Il ne fallait pas en attribuer le succès à la raison. La raison est bonne conseillère ; mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Et le cœur n’est convaincu que par les raisons du cœur. Elles ne manquaient pas maintenant. Maintenant, Annette consentait à voir l’absurdité de ses exigences d’amour maternel. Mais si elle y consentait, c’était que d’autres aspirations, étouffées, avaient ressuscité. Elle ne pouvait plus les nier, elle ne le voulait plus. Et cet acquiescement tacite une fois donné, Annette se sentit délivrée. La voix de sa jeunesse, réveillée, lui disait :

— Rien n’est perdu. Tu as encore droit au bonheur. Ta vie commence…

Le monde se ranima. Tout reprit une saveur. Même dans les jours ternes, il se fit de lumineuses échappées. Annette ne formait aucun plan d’avenir. Elle s’abandonnait au bonheur, quel qu’il fût, de l’avenir reconquis… Oui, oui, elle était jeune, jeune comme la jeune année… Toute une vie devant soi… Il n’y en aurait jamais assez !