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guetté par ces deux paires d’yeux. Après quelques galanteries un peu lourdes, dont Annette, par politesse, eut son lot, il parla des affaires, du métier, de sa vie occupée. Annette, charitablement, lui posait des questions, d’un air intéressé. Il devint plus confiant, et conta les difficultés de sa carrière, ses déboires, ses succès ; et il ne manquait aucune occasion de se faire valoir. Il semblait simple, cordial, suffisant ; il jouait cartes sur table. Plus prudente, Sylvie, avant de jouer, regardait dans le jeu de l’autre. Annette, bientôt reléguée à l’arrière-plan, et suivant la partie, s’étonnait moins de l’habileté de sa sœur que de la modestie de son choix. Sylvie n’eût pas eu de peine à trouver un parti plus reluisant. Elle ne le voulait point. Elle se méfiait des hommes trop beaux et trop brillants. Elle n’eût pas pris (cela va de soi) un magot, ni un sot. In medio… Elle entendait se choisir un second avisé, et non pas un premier. Elle savait que chacun, dans le mariage, doit donner et veut prendre : c’est l’offre et la demande. Sa demande à elle était de rester la maîtresse chez soi. — Et quelle était sa demande, à lui ? — Ah, le pauvre garçon ! C’était d’être aimé, pour lui, pour ses beaux yeux… Il ne s’en faisait pourtant pas accroire, il savait qu’il n’était ni beau ni attrayant. Mais sa faiblesse était de vouloir être épousé par amour… Ridicule, n’est-ce pas ? Il en haussait les épaules, car il n’était pas sot, ce gros naïf, averti par la vie, et sceptique à l’égard des femmes, comme le sont les trois quarts des Français. Mais le besoin du cœur est si fort ! Ce stupide besoin !… « Et pourquoi ne serais-je pas aimé ? J’en vaux d’autres qui le sont !… » Ainsi, il était, tour à tour, presque humble, et presque fat. Toujours quêtant. Ce n’était pas adroit… Et qu’il le laissât voir ! Car elle l’avait bien vu, la fine mouche. Et à ces gros yeux bleus au globe un peu saillant, qui demandaient :

— M’aimez-vous ?…