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atteindre au delà, il lui fallait s’associer d’autres forces, joindre à son atelier de couture féminine un atelier de tailleur, qui lui permît d’élargir le cercle de ses opérations.

Elle chercha autour d’elle, sans rien confier à personne, celui qui pourrait le mieux répondre à ses desseins. Elle fit posément son choix ; et le choix fait, elle décida d’épouser. L’amour viendrait après. Il aurait aussi sa place : Sylvie n’eût pas épousé un homme qu’elle n’eût pu aimer. Mais l’amour faisait l’appoint. Les affaires, en premier.

L’objet du choix se nommait Selve (Léopold) ; et du premier coup d’œil, la petite patronne avait décidé le titre, le nom-fanal de la nouvelle maison : — Selve et Sylvie. — Mais bien que le nom ne soit jamais, pour une femme, de médiocre importance, Sylvie n’était pas si folle que de se contenter d’un nom ; et Selve (Léopold) était un parti sérieux. Plus très jeune, trente-cinq ans bien marqués, assez bel homme, comme on dit en style populaire, — ce qui veut dire, en somme : assez laid, mais solidement bâti, — d’un blond roux, le teint fleuri, il était premier coupeur chez un grand tailleur, habile dans son métier, gagnant bien, rangé, pas noceur : Sylvie avait pris ses informations ; l’affaire était conclue… Dans la tête de Sylvie. Elle n’avait pas consulté Selve. Mais l’assentiment de l’élu était le cadet de ses soucis. Elle se chargeait de l’obtenir.

Selve ne l’eût point cherchée. Ami de son bien-être et de ses habitudes, bon homme, point ambitieux, et assez égoïste, il était résolu à rester célibataire, et il ne songeait pas à quitter sa place secondaire, mais lucrative et sans responsabilité, chez un patron qui savait son prix. Sylvie eut bientôt fait de bouleverser ses projets et sa tranquillité. Elle le rencontra — elle se fit rencontrer — à une exposition d’automne, où elle était venue, comme lui, pour étudier les modes qu’ils contribuaient