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On écrit toujours l’histoire des événements d’une vie. On y croit voir la vie. Ce n’est que son vêtement. La vie est intérieure. Les événements n’agissent sur elle qu’autant qu’elle les a choisis, on serait tenté de dire : produits ; et dans bien des cas, c’est l’exacte vérité. Vingt événements passent, chaque mois, à notre portée ; ils ne comptent pas pour nous, parce que nous n’en avons que faire. Mais qu’un d’eux nous atteigne, il y a gros à parier que nous lui avons épargné la moitié du chemin : nous allions au devant. Et si le choc déclenche en nous un ressort, ce ressort était bandé, il attendait le choc.

Vers la fin de 1904, la tension morale d’Annette tomba, et les transformations qui s’opérèrent en elle parurent coïncider avec certains changements qui, au même moment, s’effectuaient autour d’elle.

Sylvie se mariait. Elle avait vingt-six ans, elle avait suffisamment goûté des joies de la liberté ; elle jugeait le moment venu de goûter de celles du ménage. Elle ne se pressait pas de choisir. L’étoffe d’un amant n’a pas besoin de durer, il suffit qu’elle plaise. Mais un bon mari doit être en bon drap résistant. Certes, Sylvie entendait qu’il fût aussi plaisant. Mais il y a plaire et plaire. Pour choisir le mari, il ne s’agit pas d’emballement. Sylvie consultait la raison, et même la raison sociale. Son commerce allait bien. Sa maison — Sylvie : (Robes et manteaux) — s’était acquis, auprès d’une clientèle sélect de la moyenne bourgeoisie, une réputation justifiée d’élégance et de style, à des prix modérés. Elle en était arrivée à un point de ses affaires, qu’elle ne pouvait dépasser seule. Pour