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ANNETTE ET SYLVIE 83

pas — envieuse !… Est-ce qu’on peut se défendre, quand on a un jeune corps, tout plein de beaux petits désirs, de se dire ce qu’on eût fait de la fortune, et comme on eût mieux su en jouir que les maladroits qui l’ont reçue dans leur bec, toute rôtie !…) Et — elle n’en convenait pas — mais elle en voulait un peu à Annette… Pourtant, si c’était une faute, Annette tâchait de se la faire pardonner. — Mais justement, Sylvie ne tenait pas à la lui pardonner… Oh ! tout cela ne s’avoue pas ! Chacun cultive en soi, bien cachés, cinq ou six petits monstres. Et l’on ne s’en vante point, on n’a pas l’air de les voir ; mais on n’est pas du tout pressé de s’en débarrasser — Un sentiment plus avouable était que, tentée par ces biens qu’elle n’avait pas, Sylvie voulait se donner le luxe de paraître les dédaigner… Mais, en vérité, ce luxe était sans charme ; et il faisait peu d’usage. — Non, décidément, Sylvie ne goûtait pas un plaisir bien vif de sa victoire ; il n’y avait pas de quoi se pavaner, si elle avait vaincu, à ses dépens ! Ce qui rendait cette constatation plus pénible, c’est qu’en réalité, sa situation n’avait rien de plaisant, Sylvie avait beaucoup de mal à se tirer d’affaire. Le nombre des chômeurs était considérable ; et naturellement, les exploiteurs en abusaient. La santé de la petite n’était pas très brillante. Les chaleurs écrasantes d’un