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souffles inquiétants du dehors étaient entrés : et le souffle de la mort, et celui de la vie. Annette ouvrit les yeux, comme les premiers hommes dans la nuit, avec l’appréhension des mille dangers inconnus embusqués autour d’elle, et l’instinct de la lutte qu’il lui faudrait livrer. Subitement, les énergies assoupies se ramassèrent et, tendues, se tinrent prêtes. Et sa solitude se peupla de forces passionnées.

L’équilibre était rompu. Ses études, ses travaux, ne lui étaient plus rien. La place qu’elle leur avait attribuée dans sa vie lui parut dérisoire. L’autre partie de sa vie, que la douleur venait d’atteindre, se révélait d’une incommensurable étendue. L’ébranlement de la blessure en avait éveillé toutes les fibres : autour de la plaie ouverte par la disparition du compagnon aimé, toutes les puissances d’amour, secrètes, ignorées ; aspirées par le vide qui venait de se creuser, elles accouraient, des fonds lointains de l’être. Surprise par cette invasion, Annette s’efforçait d’en détourner le sens ; elle s’obstinait à les ramener toutes à l’objet précis de sa souffrance : — toutes, l’âpre aiguillon brûlant de la Nature, dont les souffles de printemps la baignaient de moiteur, — le vague et violent regret du bonheur… perdu, ou désiré ? — les bras tendus vers l’absence, — et le cœur bondissant, qui aspire au passé…, ou bien à l’ave-