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Annette rentra chez elle, dans la maison de Boulogne, et elle s’y enferma. La lettre aux Brissot partie, elle rompit tous liens avec le dehors. Aucun de ses amis ne savait qu’elle était revenue. Elle n’ouvrait aucune lettre. Elle restait des journées, sans sortir de l’étage qu’elle habitait. La vieille tante, habituée à ne pas la comprendre et à ne s’en troubler point, respectait son isolement. Sa vie extérieure paraissait suspendue. L’autre vie — la secrète — n’en était que plus intense. Dans son silence passaient des orages de passion blessée. Il fallait être seule pour s’y livrer jusqu’à épuisement. Elle sortait de là brisée, le sang bu, la bouche sèche, le front brûlant, les pieds, les mains glacés. Des périodes de torpeur aux lourds rêves succédaient. Des jours, elle rêvait ; et elle n’essayait pas de diriger sa pensée. Elle était envahie par une masse confuse d’émotions mêlées… Une sombre mélancolie, une amère douceur, un goût de cendres dans la bouche, les espérances déçues, de subites lueurs de souve-