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ANNETTE ET SYLVIE 267

— Mais ne parlez pas ! dit-il, c’est une folie !…

— Il le faut.

Il voulait lui fermer la bouche. Elle se dégagea. Malgré le trouble intérieur, sa résolution semblait si inflexible qu’elle en imposa à Roger qui, renonçant à la lutte, écrasé et hagard, l’écouta parler, sans oser la regarder.

Annette, d’une voix qui paraissait impassible, froide, morne, mais qui avait de brusques cassures, et qui, une ou deux fois, s’arrêta en route pour reprendre haleine, — dit ce qu’elle avait décidé de dire : en termes nets, réfléchis, modérés, qui semblaient d’autant plus implacables… Elle avait voulu sincèrement essayer s’ils pourraient vivre ensemble. Elle l’espérait d’abord, elle le souhaitait de tout son cœur. Elle avait vu que ce rêve n’était pas réalisable. Trop de choses les séparaient. Trop de différences de milieu, de pensée. Elle mettait les torts sur son compte ; elle avait reconnu que, décidément, elle ne pouvait vivre mariée. Elle avait des conceptions de vie, d’indépendance, qui ne s’accordaient pas avec celles de Roger. Peut-être Roger avait-il raison. La plupart des hommes, peut-être même des femmes, pensaient comme lui. Elle avait tort, sans doute. Mais, tort ou raison, elle était ainsi. Il était inutile qu’elle causât le malheur d’un autre et le sien propre. Elle était faite pour vivre seule.