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ANNETTE ET SYLVIE 247

contrainte me tue. Et l’idée de la contrainte me rendrait révoltée… Non, l’union de deux êtres ne doit pas devenir un enchaînement mutuel. Elle doit être une double floraison. Je voudrais que chacun, au lieu de jalouser le libre développement de l’autre, fût heureux d’y aider. Le seriez-vous, Roger ? Sauriez-vous m’aimer assez, pour m’aimer libre, libre de vous ?…

(Elle pensait : « Je n’en serais que plus à toi !… » )

Roger l’écoutait, soucieux, nerveux, un peu vexé. Tout homme l’eût été. Annette aurait pu être plus habile. Dans son besoin de franchise et sa peur de tromper, elle était toujours portée à exagérer ce qui, de sa pensée, pouvait le plus choquer. Mais un amour plus fort que celui de Roger ne s’y fût pas mépris. Roger, atteint surtout dans son amour-propre, flottait entre deux sentiments : celui de ne pas prendre au sérieux ce caprice de femme, et la contrariété qu’il éprouvait de cette insurrection morale. Il n’en avait pas perçu l’appel ému à son cœur. Il n’en avait retenu qu’une sorte d’obscure menace et d’atteinte à ses droits de propriétaire. S’il eût eu plus de rouerie dans le maniement des femmes, il eût mis sous le boisseau sa vexation secrète, et promis, promis, promis… tout ce qu’Annette voulait. « Des promesses