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ANNETTE ET SYLVIE 237

des cases prévues, bien confortablement, — votre vie, leur vie, ma vie, — tout l’avenir. Moi, je ne voudrais pas. Je ne veux pas. Je me sens au commencement. Je cherche. Je sais que j’ai besoin de chercher, de me chercher.

Roger avait un air bienveillant et railleur.

— Et que pouvez-vous bien chercher ?

Il voyait là des lubies de petite fille. Elle le sentit, et dit, d’un ton ému :

— Ne vous moquez pas !… Je ne suis pas grand’chose, je ne m’en fais pas accroire… Mais enfin, je sais que je suis, et que j’ai une vie,… une pauvre vie… Ce n’est pas long, une vie, et ce n’est qu’une fois… J’ai le droit… Non, pas le droit, si vous voulez ! cela paraît égoïste… J’ai le devoir de ne pas la perdre, de ne pas la jeter au hasard…

Au lieu d’être touché, il prit un air piqué :

— Vous trouvez que vous la jetez au hasard ? Est-ce qu’elle sera perdue ? Est-ce qu’elle n’aura point là un beau, un très bel emploi ?

— Beau, sans doute… Mais lequel ? Qu’est-ce que vous m’offrez ?

Il décrivit avec feu, une fois de plus, sa carrière politique, l’avenir qu’il rêvait, ses grandes ambitions personnelles et sociales. Elle l’écouta parler ; puis, l’arrêtant doucement au milieu, (car d’un pareil sujet il n’était jamais las) :