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230 L’AME ENCHANTÉE

elle avait longuement observé Roger, de ses yeux de fleur, où, sans qu’on y prît garde, tout venait se mirer. Roger, qui ne se méfiait plus, s’était souvent montré plus Brissot qu’elle n’eût voulu, pris par les intérêts et les querelles de la tribu, et y portant le même esprit chicanou. Certains petits côtés durs, retors, ne lui étaient pas plaisants. Mais elle ne voulait pas les juger sévèrement, comme elle eût fait chez d’autres. Ces traits lui semblaient imités. Roger, en beaucoup de choses, lui paraissait encore un enfant incertain, soumis aux siens, qu’il copiait béatement, très timide d’esprit, en dépit de ses grandes paroles. Bien qu’elle commençât à percer le peu de consistance de ses projets de rénovation sociale, et qu’elle ne fût plus tout à fait dupe de son idéalisme oratoire, elle ne lui en voulait pas, car elle savait qu’il ne cherchait pas à la tromper, et qu’il était sa première dupe ; elle était même prête, avec une tendre ironie, à écarter de son chemin ce qui pourrait troubler l’illusion dont il avait besoin pour vivre. Et jusqu’à son égoïsme naïf, qu’il étalait parfois, d’une façon encombrante, ne la rebutait pas, lui paraissait sans méchanceté. Au fond, tous ses défauts étaient défauts de faiblesse. Et l’amusant était qu’il posait pour la force… L’homme de bronze… Aes triplex… Pauvre Roger !… C’était presque