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sot, guilleret, faisait des calembours. Mademoiselle Brissot parlait de poésie. Sur ce thème chacun disait son mot. Ils prétendaient s’y connaître. Leur goût datait d’une vingtaine d’années. Pour tout ce qui concernait l’art, ils avaient des opinions arrêtées. Ils s’appuyaient sur celles, dûment contrôlées, de « leur ami un tel », qui était de l’Institut, et archi-décoré. Pas d’esprits plus timides — avec autorité — que ces grands bourgeois, qui se croyaient aussi avancés en art qu’en politique, et qui ne l’étaient pas plus dans l’une que dans l’autre : car dans l’une et dans l’autre, ils n’arrivaient jamais — à bon escient — qu’après les batailles gagnées.

Annette se sentait bien lointaine. Elle regardait, écoutait, et elle se disait :

— Mais qu’est-ce que j’ai à faire avec ces figures là ?

L’idée que l’une ou l’autre pouvait prétendre à exercer sur elle une tutelle ne la révoltait même plus, lui donnait envie de rire. Elle se demandait ce qu’aurait pensé Sylvie, si on l’eût gratifiée d’une famille de cette étoffe. Quels cris, quels éclats de rire !…

Annette y répondait parfois, toute seule, dans le jardin. Et il arrivait que Roger, étonné, l’entendît et lui demandât :

— Qu’est-ce qui vous fait donc rire ?