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906 L’AME ENCHANTÉE

ou mourir et se venger. Pour la première fois, tout ce qui lui déplaisait dans les Brissot, mais dont elle avait écarté jusqu’alors la pensée, lui apparut grossi, odieux, intolérable… Roger même !… Jamais elle ne pourrait vivre emmurée dans cet homme, cette famille, cette coterie d’intérêts qui n’étaient pas les siens, qui ne le seraient jamais. Elle décida de rompre…

Rompre, le pouvait-elle encore, quand elle venait de s’engager ? Roger le permettrait-il ?… Il faudrait bien qu’il le permît ! Il ne pouvait l’empêcher… À l’idée qu’il pourrait s’y opposer, Annette le haït. En cet instant, la peine de l’autre ne comptait plus ; elle n’eût pas hésité à lui broyer le cœur, pour reprendre sa liberté… Et puis, elle revit ses yeux implorants. Et elle fut bouleversée… N’importe ! L’égoïsme de la vie menacée, l’instinct de conservation étaient plus forts que tout, plus forts que la tendresse, plus forts que la pitié ! Il lui fallait se sauver. Et malheur à qui lui barrerait l’issue !…

Toute la nuit, dans son lit, se tournant, se retournant, dévorée de fiévreuse insomnie, elle vécut par avance la scène qu’elle allait avoir avec Roger. Elle dit, elle essaya toutes les paroles qu’il et qu’elle diraient. Elle tenta de le convaincre, elle discuta, elle s’emporta, elle le plaignit, et elle le détesta. — Elle se