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l’office était de distraire les yeux et de tenir compagnie, plus que de réchauffer : car du jardin entrait, par la fenêtre ouverte, avec le souffle mouillé d’un soir de premier printemps, le mélodieux bavardage des oiseaux revenus qui allaient s’endormir. Annette songe. Mais cette fois, elle a les yeux ouverts. Elle a repris pied dans son monde ordinaire. Elle est dans sa maison. Elle est Annette Rivière. Et, penchée vers la flamme qui rougit son jeune visage, — en taquinant du pied sa chatte noire qui tend le ventre aux tisons d’or, elle ranime son deuil, un instant oublié ; elle rappelle l’image (de son cœur échappée) de l’être qu’elle a perdu. En grand deuil, au front, aux plis des lèvres, la trace non effacée du passage de la douleur, et le dessous des paupières encore un peu gonflé par les larmes récentes, mais saine, fraîche, baignée de sève comme la nature nouvelle, cette robuste jeune fille, point belle, mais bien faite, aux lourds cheveux châtains, au cou d’un blond hâlé, aux joues, aux yeux de fleur, — cherchant à ramener sur ses regards distraits et ses rondes épaules les voiles dispersés de sa mélancolie, — semble une jeune veuve, qui voit fuir l’ombre aimée.

Veuve, Annette l’était en effet dans son cœur ; mais celui dont ses doigts voulaient retenir l’ombre, était son père.