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fumer, — d’un patriotisme atténué, très peu militariste, — portés à la tolérance et à la bonne humeur, car ils s’étaient bien pourvus, étant du parti vainqueur, — ils donnaient l’impression d’une société facile à vivre, à la morale large, vaguement humanitaire, plus certainement utilitaire, sceptique, sans grands principes, mais sans grands préjugés… (Il ne fallait pas s’y fier !…) Ils comptaient dans leurs rangs quelques catholiques libéraux, pas mal de protestants, un plus grand nombre de Juifs, et un gros de bonne bourgeoisie française, indifférente à toute religion et y ayant substitué la politique ; elle portait des étiquettes variées, mais ne s’écartant guère du républicanisme qui, ayant duré trente ans, commençait à devenir une forme — la plus pratique — du conservatisme. Le socialisme y était représenté aussi ; mais c’était par de jeunes bourgeois, riches et intellectuels, qu’avaient conquis la langue dorée et l’exemple de Jaurès. Il en était encore à sa lune de miel avec la République.

Annette ne s’était jamais sérieusement intéressée à la politique. Sa forte vie intérieure ne lui en laissait pas le temps. Mais elle avait passé, comme les autres, par son heure d’exaltation pendant « l’Affaire ». Son amour pour son père la modelait à l’image de ce qu’il sentait. Elle était prédisposée, par l’élan de son