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charme était si fort que nul, en la voyant, (à moins qu’il ne fût une femme), n’eût songé qu’elle fût laide. Et si elle parlait peu, il suffisait de quelques mots çà et là, dans un entretien vide, pour évoquer des horizons d’esprit inaccoutumés. Aussi n’offrait-elle pas moins aux désirs de ceux qui cherchaient l’âme qu’aux convoitises de ceux qui avaient reconnu en ce corps assoupi (eau qui dort) les richesses du plaisir qui s’ignorent.

Elle, ne semblait pas voir ; mais elle voyait très bien. C’est un don féminin. Il était, chez Annette, complété par une vigueur d’intuition, qui est souvent le propre d’une forte vitalité, et qui, sans gestes ni paroles, perçoit immédiatement le langage d’être à être. Quand elle semblait distraite, c’était qu’elle l’écoutait. Ombreuse forêt des cœurs !… Ils étaient — eux et elle — à la chasse. Chacun cherchait sa piste. Après avoir quelque temps flotté de l’une à l’autre, Annette choisit la sienne.

Les jeunes hommes entre qui se limitait son choix appartenaient à cette bourgeoisie riche, intelligente, active, d’idées avancées, (ils le croyaient du moins), dont avait fait partie Raoul Rivière, On était peu après la tornade de l’Affaire Dreyfus. Elle avait rapproché des hommes de milieux de pensée différents, mais qu’un commun instinct de justice sociale avait