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de le rêver, par avance. Elle ne s’en privait point. — Elle était arrivée à la lisière du bois de l’adolescence, au bel instant final où, savourant encore l’ombre et l’abri des songes, on voit s’ouvrir dans la plaine, au soleil, les longues routes blanches. Sur laquelle s’inscriront nos pas ? Rien ne presse de choisir. L’esprit s’attarde en riant, et il les choisit toutes. — Une jeune fille heureuse, sans soucis matériels, qui rayonne l’amour, les bras pleins d’espérance, voit s’offrir à son cœur la possibilité de vingt vies différentes ; et, avant même de se demander :

— « Quelle est celle que je préfère ? »
elle prend toute la gerbe, afin de la respirer. Annette goûtait, tour à tour, par l’imagination, l’avenir partagé avec tel, et puis tel, et puis tel compagnon, laissant le fruit mordu, en grignotant un autre, puis revenant au premier, en tâtant un troisième, — sans se décider pour aucun. — Age d’incertitude, heureuse d’abord, exaltée, mais qui bientôt connaît aussi des lassitudes, des dépressions accablées, et parfois même le doute désespérant.

Ainsi rêvait Annette sa vie — ses vies à venir. Elle en confiait l’incertaine attente à la seule Sylvie. Et Sylvie s’amusait des indécisions langoureuses et inquiètes de sa sœur. Elle les connaissait peu : car elle avait plutôt l’habitude