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— Quoi ! non ?

Elle refusait de s’expliquer.

Sylvie disait, moqueuse :

— Tu trouves que c’est assez bon pour moi ?

Annette se récriait :

— Non, chérie. Tu sais bien que je t’aime, comme tu es.

Mais Sylvie ne se trompait guère. Annette, par affection, se refusait à juger (en soupirant tout bas) les libres amours de Sylvie, Mais pour elle-même, elle en rejetait la pensée. Ce n’était pas seulement le puritanisme maternel qui y eût vu une flétrissure. C’était sa nature « entière », c’était la plénitude même de son Désir, qui se refusait à le morceler en menue monnaie. Malgré l’obscur appel d’une forte vie sensuelle, il lui eût été impossible, à ce moment de sa vie, d’accueillir sans révolte l’idée d’un amour où tout l’être, les sens, le cœur et la pensée, le respect qu’on a de soi, le respect qu’on a de l’autre, le religieux élan de l’âme passionnée, n’eussent pas également leur place au banquet. Donner son corps et réserver sa pensée, — non, il ne saurait en être question… C’était une trahison !… Alors, il ne restait donc qu’une solution, le mariage, l’amour unique ? Était-ce un rêve possible, pour une Annette ?

Qu’il fût possible ou non, il n’en coûtait rien