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ANNETTE ET SYLVIE 163

nœud de son attention se défaisait toujours. Dans tout ce qu’elle pensait, s’infiltraient des nuées. Les buts très nets, trop nets et trop bien en lumière — qu’elle avait fixés à son intelligence, s’estompaient dans le brouillard. La route droite qui devait l’y mener, s’interrompait, à tout instant coupée. Annette, découragée, pensait :

— Je n’arriverai jamais.

Après avoir naguère attribué orgueilleusement à la femme toutes les capacités intellectuelles de l’homme, elle avait l’humiliation de se dire :

— Je me suis trompée.

Sous l’impression de lassitude qui l’oppressait, elle reconnaissait (à tort ou à raison) certaines faiblesses cérébrales de la femme, qui tiennent peut-être à sa déshabitude séculaire de la pensée désintéressée, de cette activité d’esprit objectif et libéré de soi, qu’exige la science ou l’art véritables, — mais plus probablement à la sourde obsession des grands instincts sacrés, dont la nature a mis en elle le riche et lourd dépôt. Annette sentait que, seule, elle était incomplète : incomplète d’esprit, et de corps, et de cœur. Mais de ces deux derniers, elle se parlait le moins possible ; ils ne se rappelaient que trop à sa pensée. Elle était à cette heure de la vie où l’on ne