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ANNETTE ET SYLVIE 159

qui croit une fois pour toutes à ce qu’elle voit, à ce qu’elle touche, au rêve sensé et vulgaire de l’existence à fleur de terre, et qui écarte, comme absurde, tout ce qui pourrait l’en troubler.

Elle riait de tout de son cœur, en écoutant sa sœur. Cette Annette, tout de même, qui eût pensé cela ! Avec son air innocent, elle vous disait gravement, parfois, des choses énormes. Et puis, elle s’effarait de choses toutes simples, que tout le monde savait. Elle en faisait part à Sylvie, avec une conviction comique. Par là-dessus, Dieu sait quelles idées saugrenues lui passaient par la caboche !… Sylvie la trouvait compliquée, adorable, tordante, fichtre pas débrouillarde. Toujours cette maladie de se mettre martel en tête, pour ce qu’il n’y a qu’à laisser « chanter comme ça vous vient ! »)

— C’est que, disait Annette, ça chante une demi-douzaine d’airs à la fois !

— Eh bien, c’est amusant, faisait Sylvie.

C’est comme à la fête du Lion de Béfort.

— Horreur ! criait Annette, se bouchant les oreilles.

— Moi, j’adore ça. Trois ou quatre manèges, des tirs, des trompes de trams, des orgues à vapeur, des cloches, des sifflets, tout le monde qui crie ensemble, on ne peut plus s’entendre, on crie plus fort qu’eux tous, ça ronfle,