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ANNETTE ET SYLVIE 147

petite caboche, qui ne se flattait pas, Dieu merci, de comprendre les idées qu’hébergeait la grande cervelle d’Annette, savait qu’ici, dans son domaine, dans le royaume des chiffons, elle avait ses idées, elle aussi, elle en avait à revendre… Eh bien, est-ce qu’elle pouvait renoncer à ses idées ? On croit qu’il n’est pas de plus grand plaisir pour une femme que de porter de jolies robes !… Pour une femme vraiment douée, c’est un bien plus grand plaisir encore d’en fabriquer. Et de ce plaisir-là, quand on y a goûté, on ne peut plus se passer. — Dans l’oisiveté douillette où la tenait sa sœur, tandis qu’Annette promenait ses belles mains sur le clavier, Sylvie avait la nostalgie du bruit des grands ciseaux et de la machine à coudre. Toutes les œuvres d’art, si on les lui eût offertes, ne valaient pas pour elle le brave mannequin sans tête, qu’on drape à sa fantaisie, qu’on tourne, qu’on retourne, devant lequel on se met à croupetons, qu’on malmène sournoisement, et qu’on prend dans ses bras pour faire un tour de danse, quand la première n’y est pas. Quelques mots, çà et là, laissaient assez deviner le cours de ses pensées ; et Annette, impatiente, voyant ses yeux s’illuminer, savait qu’elle allait encore subir une histoire d’atelier.


Aussi, lorsque de retour à Paris, Sylvie