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ANNETTE ET SYLVIE 143

mutuelle ; mais elles avaient toutes deux un autre besoin plus fort, qui remontait plus loin, aux sources mêmes de leur être, les deux petites Rivière : le besoin de leur indépendance. Elles qui avaient tant de traits différents, elles avaient justement (ce n’était pas de chance !) ce trait commun entre elles. Et elles le savaient bien : c’était même une des raisons pour lesquelles, sans se le dire, elles s’aimaient le plus ; car elles s’étaient reconnues en lui. — Mais alors, que devenaient leurs projets de fondre ensemble leurs vies ? Quand chacune se berçait du rêve qu’elle saurait protéger la vie de l’autre, elle n’ignorait pas que l’autre n’y consentirait pas plus qu’elle-même n’y consentirait. C’était un tendre rêve, avec lequel on jouait. On tâchait que le jeu durât le plus longtemps possible.

Et il ne pouvait même pas durer longtemps. Ce n’eût été rien encore d’être deux indépendantes. Mais ces petites Républiques, jalouses de leur liberté, avaient, sans le vouloir, comme toutes les Républiques, des instincts despotiques. Chacune avait tendance, ses lois lui semblant bonnes, à les exporter chez l’autre. Annette, capable de se juger, se blâmait après coup de ses empiétements sur le domaine de sa sœur ; — mais elle recommençait. Elle avait un caractère entier et passionné qui, en dépit d’elle, était enclin à dominer.