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feuilles une couleuvre : elle jugeait la grande sœur bizarre, un peu maboule, vraiment pas comme tout le monde… Ce qui l’étonnait en elle, ce n’étaient pas tant ces mouvements passionnés, ces ardeurs, et tout ce qu’elle devinait des troubles pensées d’Annette, que le sérieux presque tragique qu’y apportait Annette. Tragique ? Ah ! bien, quelle idée ! Sérieux ? Pourquoi donc faire ? Les choses sont comme elles sont. On les prend comme elles sont. Sylvie n’allait pas se troubler des quinze cents fantaisies qui lui passaient sous la peau ! Elles passent, et puis s’en vont. Tout ce qui est bon et agréable est simple et naturel. Et tout ce qui n’est pas bon ni agréable l’est aussi, juste autant. Bon ou pas bon, je le gobe : c’est bientôt avalé ! Pourquoi faire tant de façons ?… Cette Annette enchevêtrée ! avec ses broussailles de pensées chaudes et froides, cette filasse de désirs et de peurs, et ces touffes de passions et de pudeurs emmêlées dans tous les recoins !… Qui la débobinera ?… Mais qu’elle fût ainsi anormale, excessive, et incompréhensible, amusait fort Sylvie, l’intriguait, l’attirait ; et elle ne l’en aimait que mieux…

Le silence prolongé était lourd de secrets inquiétants. Sylvie s’en dégageait, brusquement, en parlant à tort et à travers… Vite, très vite, et tout bas, le nez sur son ouvrage, comme