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ANNETTE ET SYLVIE 119

Et ce petit polisson de Sylvie répliquait, en se tordant de rire :

— Mais je n’ai pas peur du jour ! Et vous, vous le craignez ?…

Annette ne put pas écouter davantage. Une rafale de dégoût, de fureur, de douleur, l’emporta, en courant, dans la nuit, dans les champs. Peut-être entendit-on le bruit de sa course éperdue, et des branches froissées, comme sur le passage d’un animal qui fuit. Mais elle ne s’inquiétait plus de ne pas être entendue. Rien ne comptait plus pour elle. Elle fuyait, elle fuyait… Où ? Elle ne le savait pas. Elle ne le sut jamais… Elle courait dans la nuit, avec un gémissement. Elle ne voyait pas devant elle. Elle courut, cinq minutes, vingt minutes, une heure ? Elle ne le sut jamais… Jusqu’à ce que son pied butant contre une racine, elle tomba de tout son long, le front contre un tronc d’arbre… Et alors, elle cria, elle hurla, la bouche sur la terre, comme une bête blessée.


Autour d’elle, la nuit. Ciel sans lune, sans étoiles, noir. Terre sans souffle, sans cris d’insectes, muette. Le seul bruissement d’un filet d’eau sur les cailloux, qui s’égouttait au pied du sapin maigre, contre lequel le front d’Annette avait heurté. Et, du fond de la gorge qui coupait le haut plateau abrupt, montait le grondement