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ANNETTE ET SYLVIE 105

s’était passé le reste de la soirée, et si elle s’était promenée avec Tullio, — Sylvie, ingénument, répondit qu’elle ne s’était pas promenée, et qu’elle ne savait pas ce que Tullio était devenu : qu’au reste, Tullio commençait à la raser, et puis qu’elle n’aimait pas les hommes qui étaient trop beaux, et puis qu’il était fat, et puis un peu moricaud… Là-dessus, elle alla se coucher, en chantonnant une valse.

Annette ne dormit pas. Sylvie dormit très bien. Elle ne se doutait pas de la tempête qu’elle avait déchaînée… Annette était en proie à des démons lâchés. Ce qui venait de se passer était une catastrophe. Une double catastrophe. Sylvie était sa rivale. Et Sylvie lui mentait. Sylvie, la bien-aimée ! Sylvie, sa joie, sa foi !… Tout était écroulé. Elle ne pouvait plus l’aimer… Plus l’aimer ? Pouvait-elle, pouvait-elle ne plus l’aimer ?… Oh ! combien cet amour était enraciné, plus encore qu’elle ne l’avait pensé !… Mais est-ce qu’on peut aimer ce qu’on méprise ?… Ah ! ce ne serait rien encore, la trahison de Sylvie !… Il y avait quelque chose de plus… « Il y a… il y a… Allons, dis ce qu’il y a !… » Oui, il y avait cet homme, qu’Annette n’estimait pas, qu’Annette n’aimait pas, — et qu’elle aimait maintenant, — aimer ? non ! — qu’elle voulait. Une fièvre d’orgueil jaloux exigeait qu’elle le prît, qu’elle l’arrachât à l’autre, —