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(Elle parlait d’un tableau comme on parle d’un chapeau).

— … Qu’est-ce qu’on doit admirer ? Une fois que je le saurai, je le ferai tout aussi bien qu’un autre…

Mais, d’autres fois, elle n’était pas aussi conciliante ; elle tenait mordicus pour un héros de feuilleton, ou pour une romance fade, où elle voyait le dernier mot de l’art et du sentiment. Elle obligea cependant son aînée à découvrir la valeur, ou plutôt les promesses artistiques d’un genre, qu’Annette s’obstinait jusqu’alors à nier sans le connaître : le cinéma, dont Sylvie raffolait, à tort et à travers.

Il arrivait aussi qu’incapable de sentir la beauté d’un livre qu’elles lisaient ensemble, Sylvie comprît mieux qu’Annette la force de certaines pages, dont l’étrange vérité déconcertait sa sœur : car mieux qu’elle, Sylvie connaissait la vie. Et c’est le Livre des Livres. Ne les lit pas qui veut. Chacun le porte en soi, écrit de la première à la dernière ligne. Mais, pour le déchiffrer, il faut que le maître rude, l’Épreuve, en enseigne la langue. Sylvie en avait reçu les leçons, de bonne heure ; elle lisait couramment. Annette commençait tard. Plus lentes à entrer, les leçons devaient pénétrer plus avant.