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la légèreté gourmande et volontiers grivoise, avec laquelle Sylvie parlait des sujets amoureux, irritait Annette. Audacieuse dans l’âme, elle était réservée dans les mots ; on eût dit qu’elle craignait d’entendre ce qu’elle pensait. Elle s’enfermait, par accès, à double tour, dans un mutisme farouche, qu’elle comprenait mal. Sylvie le comprenait beaucoup mieux. En quinze jours de vie commune, elle connaissait d’Annette plus qu’Annette n’en connaissait.

Ce n’était pourtant pas que ses facultés d’esprit s’élevassent au-dessus de la moyenne d’une aimable fille du peuple de Paris. En dehors d’un sens pratique, très juste et avisé — dont elle ne tirait point tout le parti possible, parce que, le plus souvent, elle préférait obéir à son caprice — il ne fallait pas beaucoup la sortir de sa sphère. Certes, tout l’amusait ; mais rien ne l’intéressait à fond, hors la mode, qui n’en a point. Pour tout ce qui concernait l’Art : tableaux, musique, lecture, elle ne dépassait point l’honnête médiocrité ; elle ne l’atteignait pas toujours. Annette était souvent gênée par son goût. Sylvie s’en apercevait, et faisait :

Ouf ! j’ai gaffé encore… Eh bien, dis-moi ce qui se porte dans le monde comme il faut !…