Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

81
LE BUISSON ARDENT

que de mal. Mais l’enfant était craintif ; son état souffreteux le rendait plus sensible qu’un autre ; il avait une intelligence précoce, et il tenait de sa mère un cœur farouche et déréglé. Il était bouleversé par les brutalités du grand-père, comme par ses déclamations révolutionnaires, — (les deux allaient ensemble ; c’était surtout quand le vieux était ivre qu’il vaticinait). — Tout résonnait en lui des impressions du dehors, comme l’échoppe qui tremblait au passage des lourds omnibus. Dans son imagination affolée se mêlaient, en des vibrations de clocher, ses sensations journalières, ses grandes douleurs d’enfant, les lamentables souvenirs d’une expérience prématurée, les récits de la Commune, des bribes de cours du soir, de feuilletons de journaux, de discours de meetings, et les instincts sexuels, troubles et torrentueux, qui lui venaient des siens. Le tout formait ensemble un monde de rêve, monstrueux, frémissant, d’où se détachaient de la nuit opaque et du chaos marécageux des jets éblouissants d’espoir.

Le savetier traînait parfois son apprenti au cabaret, chez Aurélie. Ce fut là qu’Olivier remarqua le petit bossu qui avait une voix d’hirondelle. Parmi ces ouvriers avec qui il ne causait guère, il avait eu tout le temps