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LE BUISSON ARDENT

des travailleurs. Qui a, plus que le travailleur de l’esprit, à souffrir de l’immoralité des conditions sociales, de l’inégalité scandaleuse de fortune répartie entre les hommes ? L’artiste meurt de faim, ou devient millionnaire, sans autre raison que les caprices de la mode et de ceux qui spéculent sur elle. Une société qui laisse périr son élite, ou qui la rémunère d’une façon extravagante, est une société monstrueuse ; elle a besoin d’un coup de balai. Chaque homme, qu’il travaille ou non, a droit à un minimum de vie. Chaque travail, qu’il soit bon ou médiocre, doit être rémunéré, non au prix de sa valeur réelle — (Qui en est le juge infaillible ?) — mais des besoins légitimes et normaux du travailleur. À l’artiste, au savant, à l’inventeur qui l’honore, la société peut et doit assurer une pension suffisante pour lui garantir le temps et les moyens de l’honorer davantage. Rien de plus. La Joconde ne vaut pas un million. Il n’y a aucun rapport entre une somme d’argent et une œuvre d’art ; l’œuvre n’est pas au-dessus, ni au-dessous : elle est en dehors. Il ne s’agit pas de la payer ; il s’agit que l’artiste vive. Donnez-lui de quoi manger et travailler en paix. Il est absurde et déplaisant de vouloir faire de lui un voleur du bien d’autrui. Il faut le dire crûment : tout