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LA FIN DU VOYAGE

en avait eu d’autres. Puis elle s’était mariée avec un ouvrier. Elle était devenue une bonne mère de famille. Mais elle comprenait tout, toutes les sottises du cœur, aussi bien la jalousie de Joussier que cette « jeunesse » qui voulait s’amuser. En quelques mots affectueux, elle tâchait de les mettre d’accord.

— « Il fallait être conciliants ; il ne valait pas la peine de se faire du mauvais sang pour si peu… »

Elle ne s’étonnait pas que tout ce qu’elle disait ne servît à rien…

— « C’était ainsi. Il faut toujours qu’on se tourmente… »

Elle avait la belle insouciance populaire, sur qui les malheurs semblent glisser. Elle en avait eu sa part. Trois mois avant, elle avait perdu un garçon de quinze ans, qu’elle aimait bien ; c’avait été un gros chagrin ; mais à présent, elle était de nouveau active et riante. Elle disait :

— « Si on se laissait aller à y penser, on ne pourrait pas vivre. »

Et elle n’y pensait plus. Ce n’était pas égoïsme. Elle ne pouvait pas faire autrement ; sa vitalité était trop forte ; le présent l’absorbait : impossible de s’attarder au passé. Elle s’accommodait de ce qui était, elle s’accommoderait de ce qui serait. Si la révolution