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LA FIN DU VOYAGE

der démêlait, au fond, une grande fatigue accumulée, le dégoût de tant d’efforts, et une colère contre sa destinée. Il était de ces hommes qui dépensent, chaque jour, plus que leur revenu de vie. Depuis l’enfance, il s’usait au travail et à la misère. Il avait fait tous les métiers : ouvrier verrier, plombier, typographe ; sa santé était ruinée ; la phtisie le minait ; elle le faisait tomber dans des accès de découragement amer, de désespoir muet, pour sa cause et pour lui ; d’autres fois, elle l’exaltait. Il était un composé de violence calculée et de violence maladive, de politique et d’emportement. Il s’était instruit, tant bien que mal ; il savait très bien certaines choses, de science, de sociologie, de ses divers métiers ; il savait très mal beaucoup d’autres ; et il était aussi sûr des unes que des autres ; il avait des utopies, des idées justes, des ignorances, un esprit pratique, des préjugés, de l’expérience, une haine soupçonneuse pour la société bourgeoise. Cela ne l’empêcha point d’accueillir bien Christophe. Son orgueil était flatté de se voir recherché par un artiste connu. Il était de la race des chefs, et, quoi qu’il fît, cassant pour les simples ouvriers. Bien qu’il voulût, de bonne foi, l’égalité parfaite, il la réalisait plus facilement avec ceux qui étaient au-des-