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LE BUISSON ARDENT

de l’expression, les généralités vagues, la logique enfantine, cette mayonnaise mal battue d’abstractions et de faits sans liaison. L’impropriété et l’incorrection du langage n’étaient pas compensées par la verve et la verdeur du parler populaire. C’était un vocabulaire de journal, des nippes défraîchies, ramassées au décrochez-moi-ça de la rhétorique bourgeoise. Olivier s’étonnait surtout du manque de simplicité. Il oubliait que la simplicité littéraire n’est pas chose naturelle, mais acquise : c’est la conquête d’une élite. Le peuple des villes ne peut pas être simple ; il va toujours chercher, de préférence, les expressions alambiquées. Olivier ne comprenait pas l’action que ces phrases ampoulées pouvaient avoir sur l’auditoire. Il n’en possédait pas la clef. On nomme langues étrangères celles d’une autre race, et l’on ne se doute pas que, dans une même race, il y a presque autant de langues que de milieux sociaux. Ce n’est que pour une élite restreinte que les mots ont leur sens traditionnel et séculaire ; pour les autres, ils ne représentent rien de plus que leurs propres expériences et celles de leur groupe. Tels de ces mots usés pour l’élite et méprisés par elle sont comme une maison vide, où, depuis son départ, se sont installées des énergies nouvelles et des passions qui