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LA FIN DU VOYAGE

Christophe cherchait le vrai public, celui qui croit aux émotions de l’art comme à celles de la vie, et qui les sent avec une âme vierge. Et il était obscurément attiré par le monde nouveau promis, — le peuple. Les souvenirs de son enfance, de Gottfried et des humbles, qui lui avaient révélé la vie profonde de l’art, ou qui avaient partagé avec lui le pain sacré de la musique, l’inclinaient à croire que ses véritables amis étaient de ce côté. Comme beaucoup d’autres jeunes hommes généreux et naïfs, il caressait de grands projets d’art populaire, de concerts et de théâtre du peuple, qu’il eût été bien embarrassé pour définir. Il attendait d’une révolution la possibilité d’un renouvellement artistique, et il prétendait que c’était pour lui le seul intérêt du mouvement social. Mais il se donnait le change : il était trop vivant pour ne pas être attiré, aspiré par le spectacle de l’action la plus vivante qui fût alors.

Ce qui l’intéressait le moins dans le spectacle, c’étaient les théoriciens bourgeois. Les fruits que portent ces arbres-là sont trop souvent des fruits secs ; tout le suc de la vie s’est figé en idées. Entre ces idées, Christophe ne distinguait pas. Il n’avait pas de préférence même pour les siennes, quand il les retrouvait, congelées en systèmes. Avec