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LA FIN DU VOYAGE

Ma volonté sait commander, et elle sait aussi se soumettre. Vous qui avez la bouche pleine de vos classiques, souvenez-vous de votre Corneille : « Moi seul, et c’est assez. » Votre désir d’un maître déguise votre faiblesse. La force est comme la lumière : aveugle qui la nie. Soyez forts, tranquillement, sans théories, sans violences : comme les plantes vers le jour, toutes les âmes des faibles se tourneront vers vous.

Mais tout en protestant qu’il n’avait pas de temps à perdre aux discussions politiques, il en était moins détaché qu’il ne voulait le paraître. Il souffrait, comme artiste, du malaise social. Dans sa disette momentanée de fortes passions, il lui arrivait de regarder autour de lui et de se demander pour qui il écrivait. Alors il voyait la triste clientèle de l’art contemporain, cette élite fatiguée, ces bourgeois dilettantes ; et il pensait :

— Quel intérêt y a-t-il à travailler pour ces gens-là ?

Certes, il ne manquait point, parmi eux d’esprits distingués, instruits, sensibles au métier, et qui n’étaient même pas incapables de goûter la nouveauté ou — (c’est tout comme) — l’archaïsme de sentiments raffinés. Mais ils étaient blasés, trop intellectuels, trop peu vivants pour croire à la réalité de