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LE BUISSON ARDENT

Mais malgré sa clairvoyance excessive, cet homme qui répugnait à l’action politique régulière conservait un espoir chimérique dans une révolution. Il le savait chimérique ; mais il ne l’écartait point. C’était une sorte de mysticisme de race. On n’appartient pas impunément au plus grand peuple destructeur et constructeur d’Occident, au peuple qui détruit pour construire et construit pour détruire, — celui qui joue avec les idées et avec la vie, et constamment fait table rase pour mieux recommencer le jeu, et pour enjeu verse son sang.

Christophe ne portait pas en lui ce Messianisme héréditaire. Il était trop germanique pour bien goûter l’idée d’une révolution. Il pensait qu’on ne change pas le monde. Que de théories, que de mots, quel fracas inutile !

— Je n’ai pas besoin, disait-il, de faire une révolution — ou des palabres sur la révolution — pour me prouver ma force. Surtout, je n’ai pas besoin, comme ces braves jeunes gens, de bouleverser l’État pour rétablir un roi ou un Comité de Salut public, qui me défende. Singulière preuve de force ! Je sais me défendre moi-même. Je ne suis pas un anarchiste ; j’aime l’ordre nécessaire, et je vénère les Lois qui gouvernent l’univers. Mais entre elles et moi, je me passe d’intermédiaire.