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LA FIN DU VOYAGE

— Ma voix est brisée.

— Prie.

— Mon cœur est souillé.

— Arrache-le. Prends le mien.

— Seigneur, ce n’est rien de s’oublier soi-même, de rejeter son âme morte. Mais puis-je rejeter mes morts, puis-je oublier mes aimés ?

— Abandonne-les, morts, avec ton âme morte. Tu les retrouveras, vivants, avec mon âme vivante.

— Ô toi qui m’as laissé, me laisseras-tu encore ?

— Je te laisserai encore. N’en doute point. C’est à toi de ne me plus laisser.

— Mais si ma vie s’éteint ?

— Allumes-en d’autres.

— Si la mort est en moi ?

— La vie est ailleurs. Va, ouvre-lui tes portes. Insensé, qui t’enfermes dans ta maison en ruines ! Sors de toi. Il est d’autres demeures.

— Ô vie, ô vie ! Je vois… Je te cherchais en moi, dans mon âme vide et close. Mon âme se brise ; par les fenêtres de mes blessures, l’air afflue ; je respire, je te retrouve, ô vie !…

— Je te retrouve… Tais-toi, et écoute.