Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

314
LA FIN DU VOYAGE

conseil. Mais Christophe n’avait jamais répondu aux lettres qu’elle lui avait écrites, elle ne savait pas son adresse, elle ne savait même pas s’il était vivant ou mort… La joie vient, elle s’en va. Que faire ? Se résigner. L’essentiel était que l’enfant fût heureux et aimé…


La lettre arriva, le soir. Un retour d’hiver tardif avait ramené la neige. Toute la nuit, elle tomba. Dans la forêt, où déjà les feuilles nouvelles étaient apparues, les arbres sous le poids craquaient et se rompaient. C’était comme une bataille d’artillerie. Christophe, seul dans sa chambre, sans lumière, au milieu des ténèbres phosphorescentes, écoutant la forêt tragique, sursautait à chaque coup ; et il était pareil à un de ces arbres qui plie sous le faix et qui craque. Il se disait :

— Maintenant, tout est fini.

La nuit passa, le jour revint ; l’arbre ne s’était pas rompu. Toute la journée nouvelle, et la nuit qui suivit, et les jours et les nuits d’après, l’arbre continua de plier et de craquer ; mais il ne se rompit point. Christophe n’avait plus aucune raison de vivre ; et il vivait. Il n’avait plus aucun motif de lutter ; et il luttait, pied à pied, corps à corps, avec l’ennemi invisible qui lui broyait l’échine. Tel Jacob avec l’ange. Il n’attendait plus rien de