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LA FIN DU VOYAGE

nait dans les bras de son mari, comme un mannequin brisé. Braun passa la nuit, assis auprès d’elle, se levant à tout instant pour l’écouter. Bäbi, que la maladie d’Anna ne troublait guère, mais qui était la femme du devoir, refusa de se coucher, et veilla avec Braun.

Le vendredi, Anna ouvrit les yeux. Braun lui parla ; elle ne prit pas garde à sa présence. Elle restait immobile, les yeux fixés sur un point de la muraille. Vers midi, Braun vit de grosses larmes qui coulaient le long de ses joues maigres ; il les essuya avec douceur ; une à une, les larmes continuaient de couler. De nouveau, Braun essaya de lui faire prendre quelque aliment. Elle se laissa faire, passivement. Dans la soirée, elle se mit à parler : c’étaient des mots sans suite. Il s’agissait du Rhin ; elle voulait se noyer, mais il n’y avait pas assez d’eau. Elle persistait en rêve dans ses tentatives de suicide, imaginant des formes de mort bizarres ; toujours la mort se dérobait. Parfois, elle discutait avec quelqu’un, et sa figure prenait alors une expression de colère et de peur ; elle s’adressait à Dieu, et s’entêtait à lui prouver que la faute était à lui. Ou la flamme d’un désir s’allumait dans ses yeux ; et elle disait des mots impudiques, qu’il ne semblait pas qu’elle pût con-